Correspondance de notre collaborateur Robert Berrouet-Oriol
Hugues Saint-Fort |
Le flot de courriels que j’ai reçus —la plupart en privé, un certain
nombre en public sur les forums de discussion —à la suite de mon article
« L’écrivain et le président » m’oblige en quelque sorte à produire
cette mise au point.
En écrivant mon texte « L’écrivain et le président », je n’ai pas
voulu entrer dans le monde complexe des intrigues, mensonges grossiers
et longues histoires de clans qui caractérisent la politicaillerie
haïtienne. C’est un monde que je n’ai pas fréquenté puisque je vis loin
de mon pays natal depuis ma haute adolescence. Mais, ne vous y trompez
pas, je suis bien renseigné sur ce monde.
J’ai écrit mon texte « L’écrivain et le président » pour saluer
l’acte de refus du poète Anthony Phelps d’accepter une décoration du
président haïtien, M. Michel Martelly afin d’exprimer son indignation
devant l’impunité dont continue de jouer l’ancien dictateur Jean-Claude
Duvalier, établi en Haïti depuis janvier 2011. Cet acte constitue pour
moi le type de réplique que peut offrir l’intellectuel haïtien au
pouvoir, lequel historiquement est passé maitre dans l’art de fouler aux
pieds les droits de la personne humaine et d’assurer une impunité
grossière à tous ceux qui ont pris plaisir à torturer, tuer et humilier.
Tout au long de l’histoire haïtienne, sauf au cours de certains
moments particuliers, la plupart des intellectuels publics haïtiens
—figure que je définis comme un agent du culturel qui descend dans
l’arène politique pour combattre l’injustice, élever la voix contre les
abus sociaux, défendre les opprimés et s’opposer au pouvoir — se sont
révélés être des soumis ou des alliés au pouvoir. L’acte de refus du
poète Anthony Phelps témoigne, à mon sens, de la position d’un
intellectuel public haïtien qui s’assume et se met en première ligne.
Que d’autres ne l’aient pas fait, c’est affaire qui ne regarde qu’eux
seuls et j’ai écrit clairement dans mon texte pré-cité que je ne désire
pas intervenir dans cet aspect de la question. Car mon texte se place
bien au-dessus des petites et triviales interventions dont je n’ai que
faire et qui ne cherchent qu’à détourner d’un sujet beaucoup plus grand
et beaucoup plus important : le rapport d’une catégorie sociale
d’Haïtiens à l’Histoire, la fonction des intellectuels publics haïtiens
dans le corps social haïtien, leur embrigadement traditionnel dans les
cercles du pouvoir répressif, autoritaire et historiquement
anti-démocratique. C’est pour cela que j’ai écrit mon texte. Je suis
fier d’ailleurs que mon collègue et ami Robert Berrouët-Oriol et
moi-même, ayons été les premiers à nous prononcer sur l’acte de refus
historique, donc inoubliable, prononcé par l’écrivain Anthony Phelps.
L’Histoire est impitoyable. Elle ne consiste pas uniquement à
raconter des histoires. Nous devons apprendre à exposer les enjeux qui
se dégagent de ces « histoires », de ces faits historiques. L’acte de
refus de Phelps est un acte historique. L’historiographie haïtienne
retiendra cet acte et lui donnera la place qu’il mérite. Il ne tombera
pas dans l’oubli.
En ce qui me concerne personnellement, qu’il soit clair qu’on ne
m’entrainera pas dans des échanges infinis dans le but de détourner mes
propos. Je maintiens tout ce que j’ai écrit à propos de ce refus superbe
de Phelps. Qu’on le veuille ou non, l’Histoire est et sera toujours
juge suprême. C’est Paul Ricœur, je crois, qui a écrit que « Nous
faisons l’histoire et nous faisons de l’histoire parce que nous sommes
historiques ». Pour moi, il est clair que notre condition humaine est
une condition historique.
Biographie
Hugues Saint-Fort a obtenu un doctorat de linguistique à l’université
René Descartes, Paris V et enseigne le français à la City University of
New York (CUNY). Ses recherches portent sur la création lexicale en
créole haïtien, le phénomène des alternances codiques en anglais et
créole haïtien et l’évolution de la littérature haïtienne dans
l’émigration nord-américaine. Il a publié plusieurs articles et comptes
rendus sur ces sujets dans des revues telles que The French Review,
Études créoles, Journal of Haitian Studies…Son prochain livre a pour
titre : « Haïti : Questions de langue, langues en questions » Cultures Sud
Credits : Hugues Saint-Fort/CANAL+HAITI
Written by:canalplushaiti
Written on:juillet 6, 2012