samedi 2 février 2013

L’histoire contre la culture de l’impunité en Haïti.

POUR PARTAGER L’INFORMATION ET CONTRIBUER AU DÉBAT PUBLIC


Correspondance de notre collaborateur Robert Berrouet-Oriol 

Hugues Saint-Fort
Le flot de courriels que j’ai reçus —la plupart en privé, un certain nombre en public sur les forums de discussion —à la suite de mon article « L’écrivain et le président » m’oblige en quelque sorte à produire cette mise au point.

En écrivant mon texte « L’écrivain et le président », je n’ai pas voulu entrer dans le monde complexe des intrigues, mensonges grossiers et longues histoires de clans qui caractérisent la politicaillerie haïtienne. C’est un monde que je n’ai pas fréquenté puisque je vis loin de mon pays natal depuis ma haute adolescence. Mais, ne vous y trompez pas, je suis bien renseigné sur ce monde.

J’ai écrit mon texte « L’écrivain et le président » pour saluer l’acte de refus du poète Anthony Phelps d’accepter une décoration du président haïtien, M. Michel Martelly afin d’exprimer son indignation devant l’impunité dont continue de jouer l’ancien dictateur Jean-Claude Duvalier, établi en Haïti depuis janvier 2011. Cet acte constitue pour moi le type de réplique que peut offrir l’intellectuel haïtien au pouvoir, lequel historiquement est passé maitre dans l’art de fouler aux pieds les droits de la personne humaine et d’assurer une impunité grossière à tous ceux qui ont pris plaisir à torturer, tuer et humilier.

Tout au long de l’histoire haïtienne, sauf au cours de certains moments particuliers, la plupart des intellectuels publics haïtiens —figure que je définis comme un agent du culturel qui descend dans l’arène politique pour combattre l’injustice, élever la voix contre les abus sociaux, défendre les opprimés et s’opposer au pouvoir — se sont révélés être des soumis ou des alliés au pouvoir. L’acte de refus du poète Anthony Phelps témoigne, à mon sens, de la position d’un intellectuel public haïtien qui s’assume et se met en première ligne. Que d’autres ne l’aient pas fait, c’est affaire qui ne regarde qu’eux seuls et j’ai écrit clairement dans mon texte pré-cité que je ne désire pas intervenir dans cet aspect de la question. Car mon texte se place bien au-dessus des petites et triviales interventions dont je n’ai que faire et qui ne cherchent qu’à détourner d’un sujet beaucoup plus grand et beaucoup plus important : le rapport d’une catégorie sociale d’Haïtiens à l’Histoire, la fonction des intellectuels publics haïtiens dans le corps social haïtien, leur embrigadement traditionnel dans les cercles du pouvoir répressif, autoritaire et historiquement anti-démocratique. C’est pour cela que j’ai écrit mon texte. Je suis fier d’ailleurs que mon collègue et ami Robert Berrouët-Oriol et moi-même, ayons été les premiers à nous prononcer sur l’acte de refus historique, donc inoubliable, prononcé par l’écrivain Anthony Phelps.

L’Histoire est impitoyable. Elle ne consiste pas uniquement à raconter des histoires. Nous devons apprendre à exposer les enjeux qui se dégagent de ces « histoires », de ces faits historiques. L’acte de refus de Phelps est un acte historique. L’historiographie haïtienne retiendra cet acte et lui donnera la place qu’il mérite. Il ne tombera pas dans l’oubli.

En ce qui me concerne personnellement, qu’il soit clair qu’on ne m’entrainera pas dans des échanges infinis dans le but de détourner mes propos. Je maintiens tout ce que j’ai écrit à propos de ce refus superbe de Phelps. Qu’on le veuille ou non, l’Histoire est et sera toujours juge suprême. C’est Paul Ricœur, je crois, qui a écrit que « Nous faisons l’histoire et nous faisons de l’histoire parce que nous sommes historiques ». Pour moi, il est clair que notre condition humaine est une condition historique.

Biographie
Hugues Saint-Fort a obtenu un doctorat de linguistique à l’université René Descartes, Paris V et enseigne le français à la City University of New York (CUNY). Ses recherches portent sur la création lexicale en créole haïtien, le phénomène des alternances codiques en anglais et créole haïtien et l’évolution de la littérature haïtienne dans l’émigration nord-américaine. Il a publié plusieurs articles et comptes rendus sur ces sujets dans des revues telles que The French Review, Études créoles, Journal of Haitian Studies…Son prochain livre a pour titre : « Haïti : Questions de langue, langues en questions » Cultures Sud

Credits : Hugues Saint-Fort/CANAL+HAITI


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Written on:juillet 6, 2012

Haïti/Diasporama: Lettre de Montréal – 4, Émission «Samedi Magazine»…Débat sur le français.

Montréal, Samedi 7 juillet 2012

Nadine Magloire
Suite au « Premier Forum Mondial de la Langue Française » qui vient de se tenir à Québec, il y a eu un débat à l’émission « Samedi Magazine » avec quelques invités.

C’est absurde de dire que l’anglais ne fait pas de tort au français. Quand j’étais en Haïti, je devais faire très attention pour que le créole ne corrompe pas mon français. Ici, très souvent, je corrige mentalement ce que j’entends à la radio de peur d’attraper les anglicismes et les incorrections grammaticales des Québécois. L’emploi de l’anglais ne peut qu’appauvrir le langage des jeunes. Quand ils se servent du mot « cool » pour tout exprimer, n’est-ce pas lamentable? Certains adultes les imitent. Pour faire jeune sans doute. Que de fois le linguiste de Radio Canada a indiqué plusieurs mots français qu’on devrait utiliser à la place d’un terme anglais. La langue française est très riche, comment expliquer ce besoin de recourir à l’anglais ? Il fut un temps où les Québécois devant travailler en anglais ignoraient les termes français. C’est de moins en moins le cas. La loi 101 a mis bon ordre à cet état de choses. Et l’Office de la Langue Française a publié des opuscules donnant l’équivalent français des mots anglais qui avaient cours dans le domaine industriel, l’automobile etc.

Trop souvent les gens ici utilisent des mots français mais avec une construction anglaise. Ce qui pour moi est le pire. C’est vrai que les Français, probablement par snobisme, truffent leurs phrases de mots anglais. Mais cela ne nuit pas à leur construction; leur syntaxe n’est pas touchée. Les termes restent anglais. Ils écriront « gay » et non « gai » pour dire « homosexuel ». Ici, je n’ose plus employer l’épithète « gai » que les homosexuels se sont appropriés de peur qu’il n’y ait confusion. On ne peut plus dire « le gai savoir ». Fatalement, la plupart des gens penseront qu’il s’agit de savoir homosexuel! Mais comme je l’ai dit plus haut c’est la syntaxe, c’est le génie de la langue française qui est malmené. Je souffre d’entendre: « en autant que » traduction de « in as much as ». Il semble que personne ne connaît ici l’expression : »dans la mesure où… » Les gens ne se gênent nullement pour conjuguer à la française des verbes anglais. Ainsi « focus » devient « focusser » et bien d’autres. C’est une déplorable paresse que de ne pas se donner la peine de parler sa langue correctement. Et voilà que le Gouvernement québécois a eu la brillante idée d’exiger que l’anglais soit enseigné dès le primaire. Imaginez le mal que cela va causer à l’apprentissage du français qui déjà se fait plutôt mal.  Quant à l’orthographe…C’est une catastrophe. Je suis sidérée quand je lis les commentaires des gens à propos des articles sur le web.

Les Montréalais ont bien des fois chanté la merveilleuse chanson d’Yves Duteil : La langue de chez nous. Je me souviens de la grande émotion de tous, une nuit de la Saint Jean, (fête nationale du Québec) quand sur l’estrade les chanteurs invités ont entamé les paroles si poétiques et si émouvantes. J’avoue que j’ai eu des larmes aux yeux. En voici quelques-unes:

       C’est une langue belle avec des mots superbes
      Qui porte son histoire à travers ses accents
      Où l’on sent la musique et le parfum des herbes
      C’est une langue belle à l’autre bout du monde
      Une bulle de France au nord d’un continent
      Sertie dans un étau mais pourtant si féconde
       C’est une langue belle à qui veut la défendre
       Elle offre des trésors de richesses infinies…

Comment cette langue superbe qui permet de tout exprimer peut être vue comme une langue d’anciens colons, une langue opprimante?  Je crois que mon vrai pays c’est ma langue, et cette langue c’est le français.


Credits : Nadine Magloire/CANAL+HAITI

Tous droits réservés@CANAL+HAITI juillet 2012



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Written on:juillet 7, 2012