Dr. François Duvalier |
Cet
article est le compte rendu de la thèse de doctorat de l’auteur « Les
relations internationales d’Haïti 1957-1971 : la politique étrangère de
François Duvalier », réalisée sous la direction de Robert Frank et
soutenue à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne le 27 juin 2011.
En 1957, François Duvalier instituait une dynastie autoritaire en
Haïti. Ni les attaques internes, ni les invasions externes ne sont
parvenues à l’écarter du pouvoir. Après sa mort en 1971, son fils
Jean-Claude devenait président à vie à 19 ans et restait au pouvoir
jusqu’en 1986. Des chercheurs suggèrent que ce régime dictatorial n’a pu
diriger Haïti pendant 29 ans sans le soutien des grandes puissances. Ma
thèse de doctorat, intitulée « Les relations internationales d’Haïti
1957-1971 : la politique étrangère de François Duvalier », propose une
analyse approfondie de la politique étrangère de François Duvalier en
vue d’élucider le rôle du contexte international dans le maintien de sa
dictature. Elle permet de confirmer la prédominance du communisme dans
les relations entre les États-Unis et l’Amérique latine pendant la
Guerre froide. Elle apporte un ensemble d’éléments nouveaux qui peuvent
aider à éclairer davantage l’héritage sinistre de Duvalier dans la
politique haïtienne.
François Duvalier laisse sa marque dans toutes les sphères de la
politique contemporaine haïtienne. Son nom est mentionné dans toutes les
études qui portent sur le XXe siècle haïtien. Dans le domaine de la
politique intérieure, son bilan est sans équivoque : dictature, crime
d’État, corruption… Son régime est unanimement décrit comme l’une des
pires dictatures de l’histoire contemporaine de l’Amérique latine. Dans
le champ des relations internationales, cependant, le bilan de son règne
n’est pas encore clairement établi. Peu de recherches ont été conduites
sur l’insertion d’Haïti dans le système international sous Duvalier. Ce
vide historiographique ne facilite pas le lien, pourtant fondamental,
entre les pratiques de politique intérieure de Duvalier et la conduite
de sa politique extérieure.
Il est certain que même en utilisant la violence aveugle comme mode
de gouvernement, le pouvoir autoritaire des Duvalier ne pouvait durer
quatorze années, avec le père, et survivre quinze autres années, avec le
fils, sans l’aval des grandes puissances, particulièrement les
États-Unis ; Haïti étant situé dans la Caraïbe, à quelques kilomètres de
la Floride. Il est aussi évident que la lutte contre le communisme,
qu’on disait en faveur de la « démocratie », dominait les relations
entre les États-Unis et l’Amérique latine pendant la Guerre froide ; un
régime dictatorial évoluant sur le continent américain ne pouvait passer
inaperçu.
Aussi, pour éclairer la politique de Duvalier, nous avons examiné les
objectifs qu’il visait par sa conduite des relations internationales
d’Haïti dans le contexte de la Guerre froide, étudié les stratégies
qu’il mettait en place pour atteindre sa finalité et analysé
l’articulation entre sa politique extérieure et sa politique intérieure.
Nous avons utilisé comme source principale les archives diplomatiques
de la France, les archives nationales et présidentielles des États-Unis,
les archives diplomatiques d’Haïti et les journaux de l’époque. Nous
avons également recueilli des témoignages de survivants de la période,
afin de cerner les quatorze années de pouvoir de François Duvalier.
Pour bien comprendre la politique étrangère de Duvalier, nous avons
commencé par analyser son tempérament et retracer sa marche vers le
pouvoir . Cet exercice a permis d’appréhender sa vision du monde pour
mieux situer le sens de ses actions d’homme d’État. Ceci passe par
l’étude de ses textes et actions d’avant le pouvoir. On y retrouve un
adepte du vaudou, un militant noiriste à la rigueur raciste, un
partisan ; mais aussi un homme réservé qui n’était jamais au premier
plan. Louis Diaquoi et Lorimer Denis le devançaient dans Les Griots, un
cercle intellectuel qui prônait la mise en valeur de la culture
authentique haïtienne ; il était presque inexistant au Bureau
d’ethnologie, où régnaient Jean Price Mars et Jacques Roumain ; il était
loin derrière Daniel Fignolé au parti politique Mouvement ouvriers
paysans (MOP). C’est peut-être cette attitude qui lui a permis de durer,
de ne jamais connaître ni la prison ni l’exil, et d’accéder au pouvoir
d’abord en 1946 comme membre du cabinet du président Dumarsais Estimé
puis en 1957 comme président de la République, avec le support du haut
état-major de l’armée et l’ambassade américaine qui voyaient en lui un
homme facilement manipulable.
À son arrivée au pouvoir, Duvalier avait 50 ans et était très
expérimenté. Il était conscient du poids des acteurs externes dans la
politique interne du pays. Aussi allait-il conduire sa politique
extérieure en fonction des logiques de politique intérieure. Les plus
importants postes diplomatiques d’Haïti à l’étranger se trouvaient donc
aux États-Unis, le grand voisin continental, en République Dominicaine,
avec lequel Haïti partage sa frontière terrestre, à Cuba, le pays de
Fidel Castro, en France, dont Haïti est l’ancienne colonie, au Vatican,
en raison du poids de l’Église catholique en Haïti, et auprès de
l’Organisation des Nations unies (ONU) et l’Organisation des États
américains (OEA). Duvalier ne voyageait jamais à l’étranger – sauf quand
il traversa la frontière en décembre 1958 pour rencontrer son homologue
dominicain Rafael Leónidas Trujillo. De ce fait, ses représentants
étaient les vrais piliers de sa diplomatie, même s’ils avaient une marge
de manœuvre très limitée.
François Duvalier était le véritable détenteur du pouvoir et
l’architecte de la politique étrangère d’Haïti. Il contrebalançait le
pouvoir de l’armée en créant un corps paramilitaire, les tontons
macoutes. Il se débarrassait peu à peu des collaborateurs trop
influents. Les postes diplomatiques servaient de lieu d’exil idéal des
militaires et duvaliéristes qui ne rentraient plus dans le schéma du
président. Dans ses relations internationales, Duvalier utilisait tour à
tour la force, la diplomatie et le chantage pour parvenir à ses fins.
Quand il était en quête d’ouverture économique, il s’appuyait sur la
France, le pays avec lequel Haïti maintient les liens les plus anciens.
Mais quand il avait d’autres projets en vue, il prenait ses distances
avec la France et s’attaquait à ses intérêts économique, culturel et
religieux. La France était, certes, laïque ; mais pas dans ses relations
avec Haïti. Aussi a-t-elle été la grande victime du conflit État-Église
qui marquait la présidence de Duvalier. En plus du clergé français, qui
dominait l’Église catholique d’Haïti, François Duvalier devait
s’imposer au chef d’État de la République dominicaine, Rafael Leónidas
Trujillo. Mais ne pouvant utiliser la manière forte contre lui, Duvalier
décida d’en faire un allié. Les relations entre les deux hommes sont
allées bon train jusqu’à ce que Trujillo, dans sa tentative de dominer
l’ensemble de la Caraïbe, se permette de planifier un attentat contre le
président du Venezuela Romulo Betancourt. Ses hommes de main arrêtés à
Caracas et à Mexico étaient détenteurs de passeports diplomatiques
haïtiens. Pour se racheter, Duvalier accepta les exigences de l’OEA de
rompre les relations diplomatiques avec la République dominicaine .
C’est cette même logique d’alliance occasionnelle qui a dominé les
relations entre Haïti et Cuba. Duvalier, après avoir flirté avec les
rebelles cubains puis les avoir rejetés pour embrasser Batista, n’était
pas rassuré avec la victoire de Fidel Castro. De plus, dans la troupe
qui débarque à la Havane le 1er janvier 1959, il y avait beaucoup de
rebelles haïtiens qui juraient de marcher sur Port-au-Prince. En août
1959, un groupe de Cubains et d’Haïtiens débarquent effectivement sur la
côte sud d’Haïti dans le but de renverser Duvalier. Celui-ci n’aurait
peut-être pas gardé son fauteuil sans l’intervention des marines
américains. Les États-Unis étaient en fait le partenaire privilégié de
Duvalier. Le président haïtien faisait tout pour entretenir de bonnes
relations avec le président des États-Unis, Dwight Eisenhower. Il lui
offrit d’établir une base militaire en Haïti. Il obtint de
l’administration américaine d’importants appuis budgétaires et
militaires. Mais jugeant l’aide financière américaine insuffisante, il
menaça de passer dans le camp communiste. Sa politique de chantage lui
facilitait l’accès privilégié aux aides américaines nonobstant le
caractère dictatorial de son régime .
Avec le support des États-Unis, Duvalier avait donc les moyens de
faire fonctionner son gouvernement, d’armer les tontons macoutes et
d’installer tranquillement sa dictature. À partir de 1960, il
généralisait sa politique contre les hommes d’Église. Cette fois il
expulsait également des religieux haïtiens, des Canadiens et des
protestants. Duvalier ne pouvait supporter l’indépendance des religieux
ni leur obstination à tenir tête au pouvoir temporel. Sa politique
anticléricale lui valut toutefois d’être excommunié par le Vatican, mais
il continua d’avoir le soutien des États-Unis. Sous l’accusation de
communistes, il réprimait toute personne qu’il considérait comme une
menace potentielle. Le pays se vida alors de ses éléments les plus
importants. Vers la fin de 1960, les premiers boat people
haïtiens étaient aperçus sur les côtes de la Floride. Au cours de cette
même période, des milliers d’haïtiens se sont réfugiés dans plusieurs
pays de la Caraïbe particulièrement la République dominicaine et les
îles Bahamas. Le président haïtien se permettait, au nom de la lutte
contre le communiste, de faire comme bon lui semblait sous le regard des
États-Unis . Mais cette logique connut un coup d’arrêt avec l’élection
de John F. Kennedy comme président des États-Unis.
En avril 1961, Duvalier se livrait à une sorte de « coup d’État »
particulièrement original. Lors des élections législatives, il mit
brusquement fin à son mandat qui devait arriver à terme dans deux ans
pour se faire réélire pour six ans. Kennedy, qui rêvait d’une Amérique
latine démocratique, ne cacha pas sa difficulté à digérer la manœuvre de
Duvalier. Toute sa politique visait à forcer le président haïtien à
laisser le pouvoir en 1963, à la fin de son mandat constitutionnel .
Kennedy, dans sa démarche, était rejoint par le président dominicain
Juan Bosch. Aussi, les relations haïtiano-américano-dominicaines
sont-elles alors marquées par des tentatives d’invasion, de menaces de
guerre et de batailles diplomatiques. De temps en temps, Duvalier
faisait ressortir le spectre communiste pour faire pression sur Kennedy.
Il marchandait les votes d’Haïti dans les organisations
internationales, par exemple lors de la conférence de Punta del Este qui
consacrait l’exclusion de Cuba de l’OEA . Sur le terrain, il organisa
des manifestations de masse au cours desquelles la foule chantait la
gloire du régime en même temps qu’elle se montrait menaçante à l’égard
de certains gouvernements étrangers. Au cours de cette période plusieurs
diplomates ont été expulsés du pays et des immunités diplomatiques
étaient violées en grand nombre. Il s’agissait de toute évidence des
années les plus mouvementées des relations internationales d’Haïti sous
Duvalier.
Cette période permet de saisir le poids de la Guerre froide dans les
relations internationales d’Haïti. Kennedy n’aimait pas Duvalier, mais
les considérations liées à la menace communiste l’empêchaient d’adopter
certaines mesures qui auraient pu provoquer la chute du régime.
Duvalier, pour sa part, arrivait à évaluer le poids respectif des forces
en présence pour ensuite les jouer, ne serait-ce que virtuellement, les
unes contre les autres : les religieux haïtiens contre les français,
l’ONU contre l’OEA et Kennedy contre de Gaulle qui voulait constituer
une troisième voie dans le conflit qui opposait l’Union soviétique aux
États-Unis.
Le 22 novembre 1963, Duvalier sablait le champagne au Palais
national. Son plus grand ennemi, John Kennedy, n’était plus. Bosch avait
été victime d’un coup d’État deux mois plus tôt. Duvalier avait donc le
champ libre. Cependant, souffrant de diabète et d’insuffisance
cardiaque, il savait que ses jours étaient comptés – même s’il se
proclamait président à vie. Il avait conscience de n’avoir aucun bilan.
Il avait, enfin, le souci de ne pas rentrer dans l’histoire avec une
image si terne. Aussi voulait-il à la fois se refaire une santé sur la
scène internationale et gagner en prestige. C’est ce qui ressort de sa
politique de reconnaissance systématique des nouveaux États africains et
de ses négociations avec le Vatican en vue de l’établissement d’un
clergé indigène en Haïti. Nous retrouvions donc le Duvalier nationaliste
et noiriste. Cependant, il s’en prenait moins aux étrangers, il était
moins arrogant et beaucoup plus novateur. Car il lui fallait trouver des
débouchés économiques, au niveau international, pour réaliser ses
projets. Sur ce point, il comptait notamment sur les États-Unis. Mais
Johnson, sans jamais dire non à Duvalier, décida de ne lui accorder
aucune aide. Le régime était sous contrôle américain pour l’empêcher de
basculer vers le communisme. Cependant, il n’était pas question de le
supporter ni financièrement, ni militairement. Duvalier fut obligé de
contourner le refus de Johnson en se procurant des armes dans la
contrebande, en faisant la promotion d’un plan d’urgence « l’Effort
National » qu’il qualifiait d’Alliance pour le Progrès à l’haïtienne, en
investissant dans le tourisme et en se tournant vers d’autres pays dont
l’Allemagne, le Japon, la Chine nationaliste, l’Italie et la France.
Wien Weibert Arthus |
Cette période consacrait le retour en force de la France en Haïti. La
personne du général Charles de Gaulle planait sur les nouvelles
relations franco-haïtiennes, même après l’arrivée de Georges Pompidou à
l’Élysée. Duvalier accueille alors de prestigieuses personnalités
françaises dans son palais et reçoit la Médaille pour la paix de la
ville de Verdun. C’était donc l’entente cordiale entre Haïti et la
France, même si cette dernière n’avait pas les moyens d’injecter les
sommes nécessaires dans l’économie haïtienne. Heureusement pour
Duvalier, l’attitude américaine changea après l’arrivée de Richard Nixon
au pouvoir. La visite de Nelson Rockefeller en Haïti, le pragmatisme de
Henry Kissinger, les multiples plaidoyers de l’ambassadeur Clinton Knox
et, plus encore, les considérations liées à la lutte contre le
communisme en Haïti permettent le retour en grâce du régime de Duvalier
dans le camp américain . Nixon décida de relâcher l’étau sur Haïti, mais
Duvalier, sur son lit de mort, n’aura pas le temps de jouir de cette
nouvelle disposition. Son successeur à la présidence à vie, Jean-Claude
Duvalier, héritait donc d’un pouvoir qui était en bons termes avec les
principaux partenaires d’Haïti notamment les États-Unis.
S’il n’y avait pas eu la Guerre
froide, Duvalier n’aurait certainement pas conservé son pouvoir.
Profitant de la peur provoquée par la révolution cubaine aux États-Unis,
Duvalier a lancé la propagande selon laquelle le communisme était une
menace pour la région et affirmé que le gouvernement haïtien pouvait en
être un rempart. Sur cette base, il a pu jouir de l’argent, des armes et
de la tolérance du bloc occidental. Avec ces moyens, il a réprimé ses
opposants politiques et réduit au silence le clergé catholique qui se
montrait trop critique. Il avait assez de ressources pour réduire
l’influence de la France quoique Haïti restât attaché à la langue et à
la culture françaises. Sous l’accusation d’être des communistes, il a
exécuté ou exilé des parlementaires, des prêtres, des militaires et des
professionnels de toutes catégories qu’il considérait comme des menaces
potentielles. Envahis par la crainte d’avoir
un deuxième Cuba dans la Caraïbe, les différents présidents américains
supportaient la dictature ou adoptaient une attitude de laisser-faire à
son égard. Le contexte de la Guerre froide n’a pas seulement donné à
Duvalier la latitude de maintenir son pouvoir, il lui a permis de
changer en profondeur les objectifs et le personnel de la diplomatie
haïtienne. Duvalier a ainsi donné un nouveau sens à l’intérêt national
qu’il confondait avec ses intérêts personnels et à son projet politique.
La politique étrangère de Duvalier était complètement subordonnée à sa
politique intérieure. Il a mis en place une diplomatie de circonstance
qui s’adaptait aux besoins du moment et au contexte international. Comme
en politique intérieure, il a utilisé tour à tour la stratégie,
l’opportunisme, le pragmatisme et le chantage dans la conduite des
relations internationales d’Haïti.
Credits: Wien Weibert Arthus/CANAL+HAITI/Centre de recherche en histoire des relations internationales – Institut Pierre Renouvin
Written by:canalplushaiti
Written on:mai 28, 2012
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