lundi 28 janvier 2013

Haïti/Histoire : Lettre ouverte à la Société Haïtienne d’Histoire et de Géographie.

Bernard Miot
Vous avez sans doute vu le film sur Toussaint Louverture, produit par Eloa Prod, et réalisé par Philippe Niang. Depuis le début de l’après-midi du 15 mai, il n’est malheureusement (ou plutôt heureusement) plus disponible sur YouTube.

Ce film, sous le couvert de ce qu’ils appellent une fiction historique, révèle tout le côté tendancieux et maléfique de son auteur. Il y a dans son contenu quelque chose d’ignoble qui a retenu mon attention et qui a certainement dû retenir la vôtre.

En effet, ce film sur Toussaint Louverture s’est révélé, à mon sens, tout à fait odieux. Si on peut pardonner à l’auteur d’avoir fait autant de fautes maladroites dans le choix des acteurs : Toussaint n’est plus un bâton fatras, mais un homme costaud, Dessalines est chauve, Christophe parait être un métis, etc., il est impardonnable, comme le dit l’historien français Philippe Pichot qui traite le film de « réécriture de l’histoire, manipulation mémorielle, propagande idéologique » d’avoir campé le général André Rigaud, ardent défenseur de la liberté des esclaves, comme le pire des esclavagistes, plus esclavagiste encore que les propriétaires blancs de Saint-Domingue, haïssant les noirs et les méprisant. Rien de plus faux. Qu’on ne nous dise pas que l’auteur et tous ceux qui l’ont étroitement accompagné dans cette réalisation ignorent à ce point l’Histoire.

Ils ne sont pas sans savoir que cette guerre civile entre Toussaint et Rigaud, nous en avons ressenti les effets tout au long de notre histoire et que jusqu’à présent ce passé douloureux nous ronge. Les auteurs du film connaissent très bien la problématique haïtienne et si nous avions une lueur d’espoir de régler un jour ce conflit (noir vs métis : ce fléau social qui est en partie responsable de notre retard de développement) voici qu’un film produit en Martinique, ancienne colonie française et aujourd’hui territoire français d’outre-mer, vient raviver ces plaies pour nous diviser davantage.

Les metteurs en scène ne peuvent pas catégoriser le film de « fiction » pour camoufler leur attaque indigne contre tout un peuple, en déformant intentionnellement l’Histoire pour salir un général qui s’est battu et qui a mis sa vie en danger dans la lutte pour la liberté à Saint-Domingue. Quelle ingratitude vis-à-vis d’un homme qui aurait dû être l’un des symboles de la liberté. Quel acharnement !

L’ironie dans tout cela est qu’au terme de la guerre du Sud, le frère même d’André Rigaud, en l’occurrence François Rigaud, réfugié en Guadeloupe et devenu officier combattit aux côtés de Delgrès pour la liberté des esclaves dans cette île. Il fut exécuté à Basse-Terre, en Guadeloupe au mois de juin 1802.

Historiquement, le récit du film est absolument faux, et ce qui est plus triste, c’est le fait que ce ne soit pas par ignorance qu’on ait choisi de médire sur Rigaud. Il y a sans doute un historien qui, pour des raisons inavouées, a influencé la production du film dans ce sens-là. Comme vous le savez, le général Rigaud n’a rien eu à voir avec Toussaint, insurgé puis colonel espagnol, en ces années 1793 et 1794. Le général Rigaud était cantonné dans le sud et n’a jamais participé à ces luttes dans le nord-est en 1793-1794.

Ce fut plutôt le général Jean-Baptiste Vilatte qui aurait eu des démêlés avec le Colonel Toussaint. Effectivement, Toussaint, colonel de l’armée espagnole pensa se rallier à la France. Il s’adressa à Vilatte qui lui fit remarquer que lui, Toussaint, n’était pas digne de rejoindre la France révolutionnaire étant donné qu’il enchaînait ses frères et rétablissait l’esclavage pour la couronne d’Espagne dans tous les territoires qu’il avait conquis.

Par ailleurs, je pense que beaucoup d’Haïtiens connaissent très mal l’histoire de leur pays et par conséquent, ils ont tendance à croire ce qu’ils entendent ou lisent. Il est vrai de dire qu’à la faveur des Révolutions duvaliéristes et lavalassiennes, certains de nos historiens ont cru qu’il fallait réécrire l’histoire. Certains de nos professeurs d’histoire ont de ce fait pris un malin plaisir à enseigner une version de l’histoire dans le but d’endoctriner. La Société haïtienne d’histoire devrait se pencher sur ces distorsions et les dénoncer pour essayer de mettre fin de ces polémiques, diminuer les animosités qui en découlent et ainsi amener plus de fraternité entre les Haïtiens. La patrie ne pourrait être que  reconnaissante envers les membres de votre Société.

Espérant que vous donnerez suite à ma requête, je demeure respectueusement votre.

Avec mes plus sincères salutations,

Bernard Miot

22 mai 2012













Credits: Bernard Miot/Nadine Magloire/CANAL+HAITI




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Written on:mai 28, 2012

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